Interview réalisée le 20/02/2022
ActuCactus : « Comment es-tu arrivée en Belgique ? »
Brenda : « Je suis arrivée en octobre 2007, à 12 ans. Je pense que c’était parce que ma maman était venue s’installer ici une année plus tôt avec Jean-Fred (mon beau-père). Et du coup, comme il y avait eu le divorce de mes parents, ma maman avait eu notre garde (à moi et à mon frère). À la base, c’était notre père qui l’avait, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on était restés au Burundi, entre autres. Et comme là, c’était ma maman qui avait récupéré la garde, on est venus la rejoindre, tout simplement. »
Actucactus : « Et pourquoi es-tu venue la rejoindre ici, en Belgique ? À cause de ce qui se passait dans le pays ? »
Brenda : « Non. À la base, on est juste venus en regroupement familial, comme on dit. » … « C’était le cas, mais à la base, c’était juste pour rejoindre ma maman, mais c’est vrai que c’est un des facteurs qui a poussé notre papa à nous laisser venir en Europe en fait, à renoncer à notre garde pour que nous, on puisse vivre dans un pays qui est plus « safe » et où on aurait un avenir un petit peu plus sécurisant et stable. De base, il ne voulait pas nous laisser partir mais, ici, on avait une meilleure perspective d’avenir. Ça a été très dur pour lui, même maintenant quand on en parle, tu vois que ça a été une décision qui a été émouvante et hyper difficile pour lui. Mais tu comprends bien que la motivation qui a primé était de nous donner un meilleur avenir, de nous permettre d’évoluer dans un cadre plus constructif. »
Actucactus : « D’accord. Et quand tu es arrivée, as-tu eu le droit à des aides, pour tout ce qui est l’enseignement ou même ton adaptation ? »
Brenda : « Nous avons eu la chance de ne pas avoir un parcours migratoire « trop difficile ». C’est-à-dire qu’on est arrivés dans une famille qui était plus ou moins stable, même financièrement. Pas riche, mais il y avait de quoi vivre. Je ne pense pas qu’on ait eu des aides de l’état, donc CPAS ou autres » … « Ça aurait été différent si on était venus en tant que réfugiés par exemple, là, c’est l’État qui te prend en charge, qui te donne des aides » …. « Nous, on avait un tuteur légal qui travaillait et on considérait qu’il avait de quoi nous prendre en charge. À ce moment-là, c’est lui qui se charge de tous les frais dont on peut avoir besoin. »
Actucactus : « Et du coup, à l’école, ça s’est passé comment ? Tu as eu beaucoup de difficultés du point de vue de l’intégration ? »
Brenda : « Ça a été hyper difficile. Ce n’est pas compliqué, ma première année, je l’ai ratée *rires*. Je suis donc arrivée en première année secondaire. Et pour moi, ça a été très difficile » … « C’était différent socialement et c’était diffèrent au niveau scolaire aussi » … « Le niveau que j’avais en étant au Burundi n’était pas le même qu’ici, et encore, j’avais eu la chance d’avoir été dans des écoles privées là-bas où j’avais fait ma scolarité en français, donc j’avais quand même un meilleur niveau que ceux qui avaient été dans une école publique par exemple. Si j’avais été dans une école publique au Burundi, ou toute ta scolarité se fait en kirundi (la langue nationale), je n’aurai pas eu les mêmes notions de français en arrivant ici. »
Actucactus : « Tu aurais été noyée ? »
Brenda : « Voilà exactement. Même en ayant ce « privilège » -là, c’était quand même difficile car c’est pas le même programme, j’arrivais en secondaire où on enclenche la « vitesse supérieure » par rapport au primaire. C’est-à-dire que je devais vraiment beaucoup plus travailler, j’avais des cours dont je ne connaissais même pas l’existence par exemple le latin *rires*. »
Actucactus : « C’est vrai qu’arriver en Belgique et se coltiner le latin… *rires* »
Brenda : « Bah oui ! Je me dis « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Enfin voilà, et bizarrement par contre le latin, je me souviens, c’est le cours ou je m’en sortais le mieux, mais bref. » … « C’était plus dur socialement que pour les cours en eux-mêmes en fait. Les cours voilà, je vais en classe, j’apprends comme les autres, je démarre plus ou moins au même niveau que les autres » … « Mais le après c’était ça le côté le plus dur » … « Comment la vie est organisée tout simplement ici. » … « Je rentrais de l’école, je ne connaissais personne dans mon quartier » … « Je ne connaissais pas mes voisins, tout était hyper froid, au niveau du climat mais surtout au niveau social, je perdais mes repères, il m’a fallu en créer de nouveaux. Je n’avais pas d’amis avec qui jouer en dehors de l’école » … « C’était tout ça qui était plus dur que les cours en eux même. »
« Ma première année, je disais, je l’ai ratée, car j’avais des difficultés en mathématiques et en français. Ils ont décidé de me faire recommencer la première dans une option spéciale » … « En général, on ne pose même pas de question quand tu viens de pays en développement comme on dit » … « On te fait reculer d’une année, j’aurai dû reprendre en 6ème primaire » … « Parce qu’on part du principe que t’es pas à la « hauteur », que t’es pas au même niveau et c’est parce que mes parents ont insisté pour que je continue au même niveau car j’étais déjà en première secondaire au Burundi en septembre et fin octobre je suis arrivée ici » … « A la fin de l’année, quand on a vu que j’avais des difficultés, on s’est dit que c’était pas plus mal que je refasse l’année et que je commence sur de nouvelles bases » … « Je connais plein de personnes qui arrivent d’Afrique ou autre qui, s’ils avaient été en 3ème secondaire en Afrique, et bien, quand ils arrivent ici, on les met en 2ème secondaire, c’est quelque chose dont j’ai beaucoup entendu parler en tous cas. »
Actucactus : « Et du coup avec ton expérience personnelle, ce que t’as vécu, l’accueil que t’as reçu en Belgique, etc., est ce que tu conseillerais finalement d’aller en Belgique ? Est-ce que ça te semble être une bonne option ou pas ? Est-ce que ça valait tellement le coup ? »
Brenda : « En ayant un point de vue un petit peu plus « adulte », en ayant un peu de recul : clairement, c’était une bonne décision de nous laisser venir ici parce qu’on a beaucoup plus d’options que si on était restés là-bas, c’est un pays instable, ça l’était et ça l’est toujours. Le Burundi, je pense que quand je regarde mes amis d’enfance et les gens avec qui j’ai grandi là-bas, bah, ils sont toujours en galère »… « Je me dis quand même que j’ai été chanceuse de pouvoir être ici, de pouvoir faire ma vie ici, même si ça a été difficile parce que voilà, on a le mal du pays, on se sent un peu déraciné – ça, il n’y a rien à faire – mais non, je ne regrette pas du tout »… « si tu m’avais posé la question à la Brenda de 12 ans à l’époque, j’aurais pas été tout à fait d’accord parce que, franchement, c’était ultra difficile, en plus à l’époque je venais de perdre ma grand-mère, qui avait été là toute mon enfance, début octobre et fin octobre, bah j’arrive ici, gros chamboulement avec un deuil à faire etc. C’était hyper difficile, mais clairement je suis contente d’être là, parce que ça m’a permis d’avoir une perspective d’avenir que ce soit personnellement, professionnellement, ou socialement plus que si j’étais resté là bas, en résumant un petit peu. »
Actucactus : « Merci, c’est gentil d’avoir bien voulu partager ça avec nous. »
Brenda : « Pas de soucis, ce n’est pas un sujet « tabou ». »